dans cette rubrique :

Directeur musical de l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège depuis 2019, Gergely Madaras participe activement aux célébrations du bicentenaire de la naissance de César Franck. À l'occasion de la recréation de l'opéra Hulda, il évoque cette expérience avec Jany Campello.

gergely madarasLorsqu’on est chef, on a dans l’oreille tout un répertoire d’opéra, sauf Hulda… Quand avez-vous ouvert la partition ?

Gergely Madaras : J’ai la partition entre les mains depuis quelques mois mais cela fait deux mois que j’ai commencé à l’étudier réellement. Hulda a nécessité un travail important de maturation, qui m’a placé devant deux défis. Le premier est la longueur considérable de cet ouvrage. Le second relève de l’absence de tradition d’interprétation. Il existe bien un enregistrement auquel on peut se référer, mais nous nous sommes trouvés, les musiciens de l’orchestre et moi, face à une nouveauté totale. Si je dirige Verdi ou Puccini, la plupart des instrumentistes et des chanteurs sont familiers de leurs œuvres qu’ils ont pour la plupart déjà interprétées. Nous sommes avec Hulda dans la redécouverte, et cela occasionne une pression : nous ressentons ce sentiment fort de responsabilité de créer, d’engendrer une tradition, tout en jouissant de cette liberté offerte de sculpter une interprétation comme nous le voulons. La musique de César Franck est très bien écrite, mais ne comporte que très peu d’indications de tempi. Il m’a fallu imaginer, et mes options de départ n’ont pas été les définitives. Il m’a fallu tout repenser et réajuster au moment des répétitions. Lorsque l’œuvre a été donnée partiellement à l’Opéra de Monte-Carlo, ce fut après six mois de mise en place. Nous avons eu seulement cinq jours : cela a été un défi majeur !

Vous avez donc vécu une aventure collective…

G. M. : Tous les musiciens se sont entendus avec moi sur le fait que cet opéra devait prendre sa forme définitive au cours les répétitions. Chacun a apporté son eau au moulin dans cette aventure collective. Il était impensable que j’arrive avec une vision préconçue et rigide. Un tel défi a nécessité de ma part beaucoup de flexibilité et une grande souplesse, une capacité à réagir en tenant compte des musiciens et de leurs expériences respectives.

Cela d’autant plus qu’on ne peut pas vraiment se référer à d’autres œuvres lyriques de César Franck…

hulda madaras hollowayG. M. : Il a bien écrit un autre opéra, Ghiselle, dont Alexandre Dratwicki a découvert tout récemment et par hasard le manuscrit, mais qui est totalement ignoré. Le profil lyrique de César Franck demeure inconnu. Pour moi Hulda a été une découverte totale, au même titre que d’autres œuvres orchestrales et que son oratorio Les Béatitudes. César Franck a composé dans tous les genres possibles : musique vocale, orchestrale, musique de chambre, piano, orgue, musiques sacrée et profane... Il est exceptionnel dans chacun de ces domaines, mais à chaque fois d’une façon différente, spécifique à chacun d’entre eux. L’opéra est très particulier dans sa production.

La Symphonie en ré mineur que vous avez dirigée a-t-elle aussi représenté un défi pour vous ?

Je ne l’avais jamais dirigée auparavant. Le faire pour la première fois à la tête de l’OPRL dont elle est la carte de visite, alors qu’il l’a donnée à plus de cent reprises avec des chefs différents, c’est un peu comme arriver à Salzbourg et diriger pour la première fois la Quarantième Symphonie de Mozart ! Les musiciens voient arriver un nouveau chef avec une certaine circonspection…
Mais cette fois nous avons monté ensemble des œuvres du compositeur que les musiciens de l’orchestre n’avaient encore jamais jouées. Cela a été le cas de Rédemption, que nous avons enregistrée. Nous allons bientôt monter Les Béatitudes. Découvrir ensemble ces œuvres, cela crée incontestablement des liens forts et inédits entre nous.

Est-ce qu’aborder ce répertoire nouveau rend pour vous cette année particulièrement dense ?

madaras hulda coulissesElle ne l’est pas davantage que d’autres années du point de vue de la somme de travail, mais elle porte une coloration différente, spéciale. Être au cœur de ce bicentenaire, c’est une aventure dont je suis très heureux, et c’est aussi une grande chance. Je n’aurais jamais imaginé par moi-même diriger l’œuvre complète pour orchestre de César Franck. Je pense que la nouvelle carte de visite de l’OPRL, désormais beaucoup plus riche et complète, va nous permettre de mieux défendre ce répertoire. Personnellement, je vais aussi être amené dans les mois qui viennent à diriger plusieurs œuvres de César Franck, invité par d’autres orchestres dans de nombreux autres endroits. Je vais pouvoir à la suite de cette aventure devenir l’ambassadeur de cette musique et, je l’espère, amorcer une nouvelle tradition.

Propos recueillis par Jany Campello
 
Photos © Anthony Dehez / OPRL