À Liège, on sait sans doute mieux que partout ailleurs rendre hommage aux illustres enfants du pays et fêter leurs anniversaires. Ainsi la « Cité ardente » wallonne est depuis quelques mois l’épicentre des célébrations organisées en Europe pour le bicentenaire de la naissance de César Franck.
Né le 10 décembre 1822, le compositeur qui partit pour Paris à l’âge de neuf ans et y passa le reste de sa vie, avait gardé un profond attachement à sa ville natale, entretenant une amitié avec un autre célèbre liégeois, le violoniste Eugène Ysaÿe, comme avec ses habitants. Attachement réciproque à n’en pas douter lorsqu’on parcourt le programme des évènements qui lui sont consacrés depuis juin 2021 où nous avions entendu le poème symphonique Les Éolides par l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège dirigé par son chef Gergely Madaras. Avec 15 concerts, l’OPRL, en coproduction avec le Palazzetto Bru-Zane, porte haut ces célébrations en faisant notamment revivre sur scène des œuvres qui ne sont plus jouées depuis des lustres. C’est la cas de l’incroyable opéra Hulda, point culminant de la programmation, qui a été donné en version concert à la Salle Phiharmonique de Liège le 15 mai dernier, remportant un succès monstre, et qui a reçu pareil accueil à Namur le 17, puis ce 1er juin à Paris au Théâtre des Champs-Élysées.
Une délégation des membres de la Presse Musicale Internationale a été invitée pour la première à Liège, bénéficiant de l’accueil chaleureux et de la formidable disponibilité de l’équipe de l’OPRL. Les Liégeois sont ainsi : ils se mettent en quatre pour vous recevoir, pour vous montrer tout l’or de leur ville, vous parler de son histoire, de sa culture, et vous conduire sur les pas des génies qu’elle a vu naître.
Aller à la rencontre de César Franck c’est d’abord se rendre à sa maison natale. Stéphane Dado, diplômé en histoire de l’art, musicologie et archéologie, chargé de mission développement et médias à l’OPRL, nous a guidés d’un lieu à l’autre, nous subjuguant par son incroyable érudition. Nous voici donc rue Saint-Pierre à l’hôtel de Grady, bâtisse du XVIIIème siècle située dans un vieux quartier de Liège où le compositeur a vu le jour, aujourd’hui une demeure privée dont l’hôte nous ouvre gracieusement la porte. Avant de s’y installer, la famille Franck, locataire de cette maison, a changé plusieurs fois d’habitation dans ce quartier (dont une grande partie vétuste a été détruite et ré - urbanisée par le passé). Plus aucune trace d’époque dans son intérieur actuel, mais la façade côté jardin restaurée dans les années 1980 reste un témoignage émouvant de cet endroit où vécut le jeune César.
Le pèlerinage se poursuit non loin de là, dans la même rue : nous pénétrons dans la collégiale Sainte-Croix, érigée au Xe siècle, inscrite sur la liste du Patrimoine exceptionnel de la Région wallonne, où fut baptisé César Franck. Dans un état de délabrement avancé, fermée au public, elle fait l’objet d’une campagne importante de travaux depuis 2017, qui doit s’échelonner sur dix ans avant de retrouver à terme son activité cultuelle et culturelle, mais son accès nous est autorisé exceptionnellement. À nouveau un moment d’émotion en approchant les fonts baptismaux, une cuve recouverte d’un couvercle noir sous une poussière séculaire, au centre d’une abside. Pratiquement en face de la maison natale, l’ancien conservatoire de musique où César Franck commença ses études : le tout premier créé au XIXe siècle sous le régime hollandais après la suppression des maîtrises religieuses en 1798. Stéphane Dado nous apprend que le père de César Franck, qui avait décelé tôt les dons de son fils attiré par les sons qu’il entendait des fenêtres de l’institution, aurait triché sur son âge afin qu’il puisse y entrer dès ses 5 ans, mais il lui aura fallu attendre 1831 !
Direction ensuite le Grand Curtius, le plus important ensemble muséal de la région wallonne, qui célèbre aussi le bicentenaire du compositeur : un espace lui est dédié, où se trouve exceptionnellement exposée la console de l’orgue Cavaillé-Coll de l’église Sainte-Clothilde à Paris, dont César Franck a été titulaire à partir de 1859. Cette console, qui fut remplacée en 1933 à l’occasion d’une restauration de l’orgue, fut léguée au conservatoire d’Anvers avant d’être prêtée au Vleeshuismuseum. Sauvegardée par Charles Tournemire, elle aurait dû, suivant sa volonté, échoir à la ville de Liège. À proximité de celle-ci, sont exposées également des manuscrits originaux, comme celui des Variations symphoniques, ainsi que le cahier de devoirs d’harmonie du jeune César, dont on admire la qualité de l’écriture, fine, soignée et sans ratures.
Dans la salle voisine, on découvre le studio reconstitué d’Eugène Ysaÿe, ami de César Franck, dédicataire de sa célèbre Sonate pour violon et piano. Des boiseries art nouveau en habillent les murs, nombreux livres témoignant de la culture littéraire du violoniste-compositeur, différents objets personnels, portraits et bustes composent cet univers intime, que Franck a pu connaître… À noter, une urne métallique refermant le cœur d’Ysaÿe est posée sur une sellette.
Nous continuons d’arpenter la cité par ses lieux culturels historiques, avec une halte devant la Société Libre d’Émulation fondée en 1779 en vue de promouvoir les arts, les lettres et les sciences, où étaient donnés les concerts au XIXe siècle, et qui aujourd’hui remplit toujours son rôle. Puis nous voici devant l’Opéra Royal de Liège où le pianiste César Franck donna en 1835 le Concerto pour piano et orchestre de Hummel. En 2012, après quelques années de restauration, la réouverture de l’Opéra a été inaugurée avec la création orchestrée et scénographiée de Stradella, le premier opéra composé par Franck à l’âge de 16 ans, dont n’existe qu’une partition originale pour voix et piano. Sur la place de l’Opéra, on lève les yeux sur la statue, érigée en 1842, d’un autre compositeur liégeois très admiré de Franck, André Grétry, dont il interpréta les œuvres.
Enfin nous pénétrons dans la Salle Philharmonique de Liège, qui, construite à la fin du XIXe siècle, fut d’abord le conservatoire. Aujourd'hui siège de l’OPRL, nous y sommes accueillis par son Directeur général Daniel Weissmann. Dans le hall d’entrée, l’imposant buste fraîchement restauré de César Franck. Une visite de ses différents espaces nous en apprend sur son histoire (lire notre article publié sur ResMusica) avant la découverte de Hulda, cet opéra d’une force et d’une dimension sidérantes, interprété en version concert par l’OPRL, l’excellent Chœur de chambre de Namur, une distribution vocale triée sur le volet (quatorze solistes ! ), le tout sous la direction musicale de Gergely Madaras, à la tête de la phalange liégeoise depuis septembre 2019, embarqué avec enthousiasme dans cette aventure.
Jany Campello
Les célébrations se poursuivent jusqu’à la fin de l’année : on pourra aller entendre à Liège mais aussi à Bruxelles et même en Amérique du Sud, Les Éolides, Rédemption, l’intégrale de l’œuvre pour orgue, et Les Béatitudes. On peut d’ores et déjà écouter l’excellente intégrale de l’œuvre symphonique enregistrée par l’OPRL, rassemblée dans un coffret de 4 CD récemment paru chez Fuga Libera. On attend avec impatience la parution prévue au printemps prochain de Hulda sous le label du Palazzetto Bru Zane, ainsi que Les Béatitudes chez Fuga Libera en 2023.
Photos : © Anthony Dehez /OPRL, sauf portrait César Franck (Pierre Petit / DR), console de Sainte-Clotilde et studio Ysaÿe (© Jany Campello / PMi)