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Berlioz NadarÀ l’occasion du 150e anniversaire de la disparition d’Hector Berlioz, Pierre-René Serna fait paraître Café Berlioz, un recueil de vingt-huit textes « parlant aussi bien des œuvres que de questionnements autour – et au détour – de ce compositeur inclassable et ce pendant fondamental qu’est Berlioz ». Une école buissonnière de la musicologie en vertu de l’impertinence jubilatoire et l’érudition toujours teintée d’humour de notre auteur, qui convoque ici Morand, là Rameau, ailleurs Gautier, pour dispenser un éclairage inédit sur l’œuvre et le compositeur des Troyens. Un complément bienvenu à son Berlioz de B à Z (Editions Van de Velde), qui était une présentation unique de l’œuvre.

Jérémie Bigorie : Berlioz est-il classique ou romantique ? A l’instar de David Cairns, vous le qualifiez de classique, tandis que Théophile Gautier comme Colin Davis voyaient en lui un romantique.

Pierre-René Serna : J’ai consacré un chapitre à ce sujet dans mon précédent livre Berlioz de B à Z. J’y cite une lettre dans laquelle Berlioz précise : « Je suis un classique. Romantique ? Je ne sais pas ce que cela signifie ». Il souffrait à la fin sa vie d’être associé à cette épithète que l’ineffable Adolphe Boschot reprendra à l’envi dans sa biographie du début du XXe siècle truffée d’erreurs et de stupidités.

J.B. : « Cette manière de composer reste néanmoins éminemment spécifique, dont on ne voit guère d’autre exemple que chez Sibelius… », lit-on page 23. Pouvez-vous expliciter ?

P.-R. S. : Berlioz et Sibelius, contrairement à la plupart des compositeurs à commencer par Ravel, n’instrumentaient pas après un premier jet au piano. Même si, au rebours des idées reçues, Berlioz pianotait pourtant et a écrit une cinquantaine de mélodies accompagnées du seul piano. Il composait pour l’orchestre en notant directement sur papier. Ce qui dépasse de loin la simple instrumentation.

Serna Pierre RenéJ.B. : Est-il bien vrai que « Berlioz ne ment jamais » ?

P.-R. S. : Après la disparition de Berlioz en 1869, le bruit s’est répandu que les Mémoires de Berlioz étaient un tissu de mensonges. Or il n’en est rien. Même s’il lui est arrivé de se tromper, ou de commettre une erreur de dates. Mon jugement se fonde sur le recoupement après la lecture de l’ensemble de ses écrits, dont Flaubert a pu dire que leur qualité littéraire « enfonce Balzac » !

J.B. : Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle joué par la princesse Caroline durant les dernières années de la vie de Berlioz et sur la composition des Troyens (dont elle est la dédicataire) ?

P.-R. S. : La correspondance atteste en effet du rôle qu’elle a joué en incitant Berlioz à mener à bien son opéra. J’observe que cet intérêt suit la pente inverse de celle de son compagnon Franz Liszt, lequel se rapprochait de plus en plus de Wagner - que la princesse détestait - à la même époque.

J.B. : Préférez-vous Berlioz sur instruments d’époques ou sur instruments modernes ? Vous citez une phrase de Rattle, pour qui « Berlioz sur instruments modernes, ce n’est plus une interprétation, c’est une transcription ».

P.-R. S. : Berlioz avait une science de l’orchestration unique qui ressort de son fameux Traité et des nombreuses indications dont regorgent ses partitions. Celles-ci sont extrêmement écrites, et ne laissent pas de place à l’improvisation – y compris les indications métronomiques. Si Colin Davis a accompli en son temps un travail de pionnier en jouant et en enregistrant des œuvres peu fréquentées (comme Benvenuto Cellini), les approches de John Eliot Gardiner et de Roger Norrington, aujourd’hui d’un François-Xavier Roth et de son orchestre Les Siècles, me semblent les plus intéressantes.

J.B. : « Je ne suis pas un chercheur, et surtout pas un universitaire » écrivez-vous ; qu’êtes-vous Pierre-René Serna ?

P.-R. S. : Je déteste les étiquettes. Je suis motivé dans mes passions. Et j’essaie de les servir de manière la plus rigoureuse. Mon projet est de transmettre un savoir que j’ai acquis et dont on ne trouve pas trace par ailleurs. C’est ainsi que je me suis attaché à promouvoir des répertoires injustement mal connus, comme la zarzuela par exemple, en dehors de mon goût prononcé pour Berlioz.

 

Pierre-René Serna, Café Berlioz, Bleu Nuit éditeur, 176 pages, 16 €

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