Vingt-quatre ans après son livre de référence publié chez Fayard, Marc Vignal revient à son cher Joseph Haydn par le biais d’une biographie sous forme de mémoires « à la première personne » (les passages en italique émanent de Haydn lui-même). En découle un récit particulièrement vivant, où la vie du compositeur le plus fêté de son temps agit comme un foyer duquel rayonnent des considérations sur la musique bien sûr, mais aussi l’histoire et les arts. À l’instar d’un Jean-Sébastien Bach, Haydn eut à régler des problèmes d’intendance - consécutifs à sa charge auprès des Estherhazy - en même temps qu’il couchait sur le papier ses œuvres visionnaires. C’est ce mélange de pragmatisme et d’utopie qui rend sa personnalité, indépendamment de son génie de compositeur, si fascinante ; elle irradie dans le livre de Marc Vignal.
Comment est née votre passion pour Haydn ?
Marc Vignal : En même temps que celle pour Mozart et Beethoven : vers l’âge de 14-15 ans.
Comment vous est venue l’idée d’une biographie à la première personne ?
M. V. : L’idée m’a été suggérée, et je l’ai trouvée bonne.
Depuis votre livre de référence (Fayard, 1988), y a-t-il des choses nouvelles sur Haydn que vous avez eu à cœur de faire figurer ?
M. V. : Très peu, sinon quelques détails biographiques. J’ai appris qu’il avait donné un exemplaire de son catalogue de 1805 à son élève Pleyel ; je l’ai inclus, comme le fait que sa femme est née une année plus tard que ce qu’on pensait (1730 au lieu de 1729), en raison d’une confusion sur la personne. Doit paraître prochainement une édition actualisée de la correspondance de Haydn.
Haydn précise n’avoir jamais eu plus de vingt-quatre musiciens dans l’orchestre des Estherazy (p. 16). Cela doit-il, selon vous, inciter les chefs à interpréter ses symphonies avec cet effectif ?
M. V. : Pas forcément. Mais on peut en tenir compte. La salle n’avait pas les mêmes volumes que nos salles de concert actuelles. En outre, cela ne concerne que les œuvres jusqu’en 1780, puisque les suivantes ont été composées à l’attention des orchestres de Paris et de Londres, qui étaient beaucoup plus fournis – jusqu’à soixante musiciens.
Comment qualifier l’attitude des Estherazy, dont il dit (p. 17) « qu’il leur resterait attaché toute sa vie » ?
M. V. : Haydn le dit dans son autobiographie. Son statut était plutôt enviable même si, à la longue, cela lui a pesé. Une fois domicilié à Vienne, le cahier des charges était moins contraignant pour lui : il devait seulement s’acquitter d’une messe par an.
On est frappé de la place occupée par l’opéra au cours des années 1790 - où il dirige « en moyenne de 90 à 100 représentations par an » - alors que ses œuvres lyriques sont aujourd’hui peu représentées sur les scènes internationales.
M. V. : À partir de 1776, il y avait une saison d’opéras à Esterhaz. Le prince étant passionné d’opéras, il fallait que Haydn en dirige beaucoup. Mais à part les derniers de Mozart, combien d’opéras de cette catégorie (opera buffa, ou dramma giocoso) sont représentés de nos jours ? Cimarosa, Paisiello, Martin y Soler sont aussi bien rares…
Vous faites dire à Haydn (p. 58) que le Quatuor Hoffmeister de Mozart est « un de ses plus réussis ». Sur quoi vous basez-vous ?
M. V. : La phrase n’est pas en italique. Je la lui prête parce qu’il aurait très bien pu la dire.
Qu’avez-vous inventé d’autre ?
M. V. : Le rencontre avec Mozart fin 1783 par exemple : elle est plausible mais pas attestée ; il fallait bien trouver une date avant 1785. J’ai pris soin de vérifier qu’ils étaient tous deux à Vienne à cette époque. La date a été choisie en fonction du fait que Mozart avait composé trois de ses quatuors dédiés à Haydn et qu’il revenait de Salzbourg ; de là les salutations de Michael Haydn que Mozart transmet à son frère aîné Joseph.
Si vous deviez qualifier en un mot l’attitude de Haydn envers Beethoven et celle de Beethoven envers Haydn ?
M. V. : Je dirais bienveillant. Quant à l’attitude de Beethoven envers Haydn, je citerais Haydn lui-même : « Il est d’un grand orgueil à mon égard ». Les deux compositeurs ont été actifs entre 1795 et 1800 au même endroit. L’œuvre la plus marquante de ces années aura été La Création, en 1798, qui est aussi l’année de la Sonate « pathétique ». Mais l’œuvre de Beethoven qui connaîtra une consécration semblable à La Création sera la Symphonie « héroïque », à partir de 1804.
Vous écrivez (p. 143) que « Haydn comme Beethoven était essentiellement rythmicien ».
M. V. : La formule est peut-être exagérée, bien que ce paramètre ait un côté primordial chez l’un comme chez l’autre.
Quel crédit donner au Journal du comte Karl von Zinzendorf, selon vous une « source essentielle » ?
M. V. : Oui, à deux niveaux : il y a d’abord les dates, très importantes ; puis les jugements qu’il porte, très fleuris, et qui demandent parfois à être décryptés. Ainsi, quand il dit s’être ennuyé à une représentation de Don Giovanni, cela ne signifie pas que Zinendorf a trouvé la musique mauvaise, mais tout simplement qu’il n’avait personne avec qui batifoler dans sa loge…
Berlioz tiendra des propos assez durs sur Haydn. De même Schumann. En revanche, Brahms l’admirait ; comment analysez-vous ces différences d’appréciation de la génération romantique à l’égard de Haydn ?
M. V. : Berlioz n’aimait pas Haydn ; il ne voyait en lui qu’un précurseur de Beethoven. À l’instar de Schumann, il jugeait sa musique à l’aune des critères du présent. Schumann déclare, dans une critique écrite à l’issue d’un concert donné par Mendelssohn, qu’il n’y a plus rien à apprendre de Haydn. Brahms a remis de l’ordre dans tout ça. Wagner aussi : Cosima précise dans son Journal que Richard jugeait les symphonies de Haydn (qu’il aimait jouer dans une transcription à quatre mains) supérieures à celles de Mozart.
Comment expliquer ce mélange du savant et du populaire dans sa musique ?
M. V. : Par ses origines paysannes, et une certaine permanence dans l’histoire de la musique. Tous les compositeurs avant lui et après ont été plus ou moins influencés par la musique populaire. Sans doute a-t-il réussi à synthétiser le savant et le populaire comme personne d’autre. Chez Haydn, cela peut prendre la forme d’une citation ou d’une réinvention. Charles Rosen en parle dans son livre Le Style classique.
… un peu à l’instar de Bartók et son « folklore imaginaire » ?
Oui.
Propos recueillis par Jérémie Bigorie
Marc Vignal, Joseph Haydn, bleu nuit éditeur, 176 pages, 20 €