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Kirill Karabits (photo DR)

Pour son dernier déjeuner de la saison, la PMI a ouvert sa table à l'une des baguettes les plus prometteuses de la nouvelle génération de chefs d'orchestre : Kirill Karabits. À 31 ans, le futur directeur musical de l'Orchestre de Bournemouth n'a commis aucun faux pas. Assistant d'Ivan Fischer (Orchestre du Festival de Budapest), puis chef associé à l'Orchestre philharmonique de Radio France (2002-2005), premier chef invité de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg (2004-2006), Kirill Karabits séduit les musiciens, le public et la critique qui a récemment salué la qualité de sa direction des Voyages de Monsieur Broucek de Janacek à Genève. Entre deux représentations d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski à Glyndebourne, le jeune chef ukrainien, qui a décidé de s'installer à Paris, était notre invité.

Jeune chef face à un orchestre

Dans chaque pays les réactions sont différentes. En Allemagne, les orchestres veulent de la précision, des consignes précises. En France il ne faut jamais donner l'impression d'en savoir plus que les musiciens, ce en quoi ils ont raison : je suis plus jeune, ils en savent plus que moi. Quand les répétitions démarrent, je n'ai pas d'idée préconçue sur la façon de faire jouer un thème. Tout se passe en temps réel, à travers un dialogue. Il n'y a pas de vérité, mais seulement un contact, un échange. Il est beaucoup plus difficile de trouver une entente que de se mettre en colère, voire menacer de partir. De toute façon, l'époque du chef d'orchestre tyran style Mravinski est révolue.

Apprendre à diriger

Diriger n'est pas si difficile : il suffit de battre la mesure, ce qui s'apprend en une semaine. C'est le reste qui est difficile. J'essaie de connaître les oeuvres par cœur, mais je dirige avec la partition : il faut savoir si l'on veut privilégier son image ou son efficacité. On peut toujours diriger les yeux fermés, comme certains. Moi, je dirige aussi avec mes yeux. Quand on apprend à diriger, on essaie un peu tout et on finit par trouver. J'ai passé par exemple une époque où je dirigeais sans baguette.

Construire un répertoire

Je n'ai pas vraiment construit de répertoire. Je dirige davantage certaines oeuvres, de musique russe par exemple, mais j'aime aussi diriger Mozart, Beethoven, la musique baroque. Pour mon premier concert à Luxembourg, j'ai choisi les symphonies de Graun. Disons que le répertoire allemand est plus loin de ma personnalité : il me faut un peu de temps pour pénétrer dans une symphonie de Brahms, mais je m'y sens vite chez moi. Mon répertoire dépend aussi de ce qu'on me demande : je vais diriger la Cinquième Symphonie de Mahler en Nouvelle-Zélande en août ; j'aurais pu en diriger une autre si on me l'avait demandé.

Chef associé au Philar'

Il y avait 150 candidats et j'ai été retenu. Deux jours après, j'étais à Vienne pour déménager à Paris. Le concert que je devais donner a été annulé à cause d'une grève, après la répétition générale. C'était inimaginable pour moi, mais tout le monde m'a plaint et cela m'a valu beaucoup de concerts par la suite ! il y a eu aussi des sessions d'enregistrements pour « Alla breve », une série consacrée à la musique contemporaine.

Chef d'orchestre et metteur en scène

Le chef est dans la fosse et a le dernier mot, mais le metteur en scène est là pour répéter six semaines avant. Les chanteurs sont comme des enfants : lorsque le père et la mère ne s'entendent pas, rien ne va plus. Je ne suis pas systématiquement hostile aux coupures que peut me demander un metteur en scène, à condition que cela soit justifié théâtralement. Les œuvres ne sont pas des pièces de musée, elles ne sont pas intouchables. Faut-il que le metteur en scène connaisse la musique ? il ne faut pas, en tout cas, qu'il fasse du théâtre indépendamment de la musique.

Calendrier : le présent au passé

À Bournemouth, j'ai un contrat de quatre ans, à partir de septembre 2009, avec neuf ou dix semaines de présence. Cela me laissera le temps de faire autre chose. L'orchestre et moi allons continuer à enregistrer pour Naxos. Ayant vécu la moitié de ma vie dans le système communiste, j'ai proposé des compositeurs soviétiques peu connus. Pour le reste, mes tournées de concerts comme chef invité sont programmées au moins deux ans à l'avance : l'année prochaine appartient déjà au passé.

Musique en Ukraine

La vie musicale y est encore très liée à la politique. Les Conservatoires fonctionnent encore selon l'ancien système, qui avait aussi des avantages. Je n'accepte pas le système à l'américaine. Il m'arrive parfois, pour mes concerts en Ukraine, de ne pas être payé, voire de payer moi-même, et je trouve cela très bien. En juin, j'ai donné un concert avec l'Orchestre des jeunes de Kharkov, des diplômés du Conservatoire sans expérience de l'orchestre : j'ai vécu là un moment magnifique, tellement ils ont de l'énergie. En revanche, le système ancien du répertoire encore en vigueur dans les opéras, où tout le monde est très mal payé, n'est pas bon. Je suis très attaché à mon Ukraine natale et j'ai tout fait pour m'installer en Ukraine, mais j'y ai renoncé : je préfère y passer trois jours quand je n'ai pas de concerts. Je vis à Paris.

Musique française

J'aime passionnément la musique française, que j'ai souvent dirigée à Strasbourg. Je l'aime pour ses couleurs très particulières, que l'on a aussi dans la musique russe. Tchaïkovski, pour moi, est très français. J'apprécie beaucoup les orchestres français, en particulier pour leurs bois, pour leur légèreté : les orchestres anglais, par exemple, qui ont beaucoup de qualités, n'ont pas cela.

Olivier Erouart