En invitant Lucas Debargue, lauréat du dernier concours Tchaïkovski – 4ème prix et grand prix des critiques –, pour son ultime apéro de l'année 2015, la PMI ne saurait mieux remplir le cahier des charges de ce nouveau-rendez de notre association initié en février et consacré aux talents de la nouvelle génération. Notre président Jean-Guillaume Lebrun ouvre la rencontre en résumant les récentes étapes d'une carrière qui vient de se précipiter avec la victoire à Moscou, avant de laisser le jeune musicien de 24 ans dévoiler, durant près de deux heures d'échanges passionnants, son étonnante maturité.
Revenant sur cette « entrée brutale dans le monde professionnel », notre soliste confie s'être longtemps vu comme un amateur – au sens noble du terme, « dans amateur il y a le mot amour ». Il a commencé tard, à onze ans, et n'a pas suivi un parcours académique, montrant également de l'appétit pour les lettres et les arts : tout le contraire d'un monomaniaque du clavier. C'est sa professeure à l'Ecole normale de musique Alfred Cortot à Paris, Rena Shereshevskaya, qui lui a proposé de préparer Tchaïkovski. « L'expérience suscite en moi des contradictions stimulantes et a déclenché une certaine confiance en moi. Chaque concert est un défi. »
Le répertoire de Lucas Debargue sait sortir des sentiers battus et accorde entre autres une place de choix à Medtner, qu'il n'a pas manqué d'inscrire à son programme de compétition. « Medtner est intéressé par les formes préexistantes à partir desquelles il réalise des variations – un peu comme Stravinsky, les différences esthétiques mises à part. On y sent clairement l'influence allemande, ostensiblement revendiquée – dans le contrepoint ou la conduite des basses. Pour autant, dans ce cadre solide, la tradition russe n'en demeure pas moins audible. »
On évoque Chopin et Liszt. Il se montre très sévère à propos « des codes d'écoute fallacieux que les interprètes y ont installé ». Chez le premier, cela confine « à un certain académisme du romantisme. Au contraire de Chopin qui écrivait pour l'intime, comme en improvisant, Liszt cherche à dépasser la surface du piano, avec des choses injouables par d'autres que lui. Et c'est dans cette optique d'adaptation aux réalités du concert et des autres pianistes qu'il a réécrit ses œuvres, parfois sur des périodes longues. » Le nom de Szymanowski est prononcé et recueille l'intérêt de notre invité, qui a inscrit la Deuxième Sonate à son répertoire. Celui de Ravel aussi, et Lucas Debargue détaille et défend son interprétation de Gaspard de la Nuit.
Pour ce qui est du travail de préparation, Lucas Debargue parle de « laboratoire », empruntant cette idée à la littérature. «Pendant mon adolescence, j'avais un rapport impulsif à la musique. Depuis, il est devenu plus réfléchi. En fait, je ne passe pas tant de temps que cela devant mon piano. L'essentiel est mental, en jouant à l'aveugle, en marchant, en nageant dans l'ensemble des activités de ma vie. Je sens la musique dans ce qui passe avec moi dans le réel ».