Après avoir réhabilité la figure de Salieri et tandis qu’un Cherubini est en préparation, notre confrère Marc Vignal fait paraître, toujours chez Bleu Nuit, un Vaughan Williams, première étude biographique publiée en français sur l’un des plus grands symphonistes du siècle dernier. Au fil des pages qu’agrémente une iconographie savoureuse se dessinent à la fois une personnalité attachante, d’une grande intégrité morale durant les deux conflits mondiaux, et un compositeur d’envergure qui sut transcender le matériau populaire dont il s’était inspiré pour acquérir son style propre, lequel allait donner une nouvelle impulsion à la musique anglaise. Puissent les directeurs de salles et les chefs d’orchestre donner un écho favorable à cet ouvrage en programmant – enfin – sa musique !
Pourquoi, selon vous, la musique de Vaughan Williams s’exporte-t-elle difficilement en France, un sort qu’il partage avec beaucoup de compositeurs britanniques ?
Marc Vignal : Parce que la France, il faut bien le dire, n’importe pas beaucoup la musique instrumentale britannique ; même Elgar n’est pas beaucoup joué. Seul Britten fait exception grâce à ses opéras.
L’avez-vous rencontré ?
Non, malheureusement, mais je conserve trois de ses lettres, dont la dernière écrite trois semaines seulement avant sa mort (en 1958). Il me remerciait à chaque fois de s’intéresser à sa musique. Je l’avais contacté au nom du club de disques des JMF [Jeunesses musicales de France] qui, dans les années 50, s’employait à mettre à l’honneur des symphonistes alors peu joués au concert tels Bruckner, Mahler, Sibelius et, donc, Vaughan Williams.
Vaughan Williams a manifesté toute sa vie un vif intérêt pour la musique populaire. Comment qualifier l’usage qu’il en fit comparativement à un Bartók par exemple ?
Vaughan Williams a collecté plusieurs centaines de chansons populaires, sans pour autant accomplir le même travail que Bartók en Hongrie et en Roumanie. Il disait que la connaissance des chansons populaires permettait de fonder une communauté, de lui donner un passé. Naturellement, un emprunt à ces musiques ou des citations ne sauraient suffire, selon lui, à faire un grand compositeur, ce en quoi il se rapproche de Bartók. La prise en compte du folklore a surtout permis de donner une tradition à la musique anglaise ainsi que l’éclosion d’une école nationale, quand bien même ses membres n’en ont pas tous fait usage dans leur musique.
Quels étaient ses compositeurs de référence ?
Bach et Wagner étaient ses compositeurs favoris. Il préférait Haydn à Mozart et aimait beaucoup Beethoven tout en s’en méfiant un peu. En revanche, il goûtait peu Bruckner, Liszt et Berlioz.
Son attitude à l’égard de la musique de Bach, qu’il dirigea souvent, ferait frémir les baroqueux !
Il affirmait : « de Leipzig 1729 à Londres 1900, ce n’est pas la même chose » ; et à la question de savoir s’il faut jouer Bach comme à son époque – à supposer qu’on le sache – pour lui, clairement, c’est non. Il y avait aussi des raisons pratiques : il a dirigé souvent la Passion selon Saint-Matthieu avec les effectifs dont il disposait, soit un grand ensemble victorien, soit, au contraire, un petit orchestre à cordes. « Bach n’appartient à aucune époque, affirmait-il, on doit donc le traiter comme tel. »
Vous écrivez que « Job est sans doute l’œuvre donnant de Vaughan Williams l’idée la plus complète ». Est-ce celle que vous conseilleriez pour une première approche ?
Non, plutôt certaines symphonies. Mais Job, constitué de neuf sections très contrastées, le décrit dans toute sa diversité : s’y illustrent les aspects brutal, mélodique, modal, et aussi « ecclésiastique ». Voilà une œuvre fascinante qui, à ma connaissance, n’a jamais été donnée en France…
Comment qualifier la place qu’il occupe dans la musique anglaise, entre Elgar et Bax ? Est-il le plus grand symphoniste anglais du XXe siècle ?
Les Symphonies d’Elgar, ce n’est pas rien ! Elles sont à peu près contemporaines des deux premières de Vaughan Williams. Mais l’esthétique est tout autre car si le ton est anglais, leur facture et leur structure demeurent germaniques : il y a du Brahms et du Richard Strauss. Je ne veux pas dire que tout le monde (Bax, Bliss…) après lui l’ait imité, mais on lui doit cette nouvelle impulsion symphonique en Angleterre qui va de pair avec celle des pays nordiques (Sibelius, Nielsen), alors que la tradition symphonique germanique semble se tarir après la mort de Mahler en 1911. Vaughan Williams est certainement celui des compositeurs britanniques dont le legs symphonique pèse le plus de poids.
« L’atonalité : la musique allemande dans ce qu’elle a de pire » a-t-il déclaré ; s’est-il montré de plus en plus conservateur avec l’âge ? Comment qualifier son langage harmonique, entre tonalité et modalité ?
Vaughan Williams est essentiellement un compositeur modal. Je ne pense pas qu’on puisse dire de lui qu’il était conservateur. Certaines de ses pages, je pense au début de la Quatrième Symphonie, sont très dissonantes. Mais les travaux de Schoenberg ne l’intéressaient pas beaucoup, il l’a lui-même exprimé non sans humour à la faveur d’une contribution à un magazine musical en hommage au Viennois qui venait de mourir (en 1951) : « Schoenberg n’a jamais rien signifié pour moi, mais comme il signifie beaucoup pour certaines personnes, je dois avoir tort. » Cela dit, on a des traces à la BBC attestant qu’il aurait demandé à assister, en 1931-32, à une répétition des Cinq pièces pour orchestre ; en outre, il a entendu plusieurs fois Wozzeck. Par conséquent, je ne pense pas qu’il faille prendre tout ce qu’il disait sur l’atonalité au pied de la lettre.
L’homme a fait montre d’une rare clairvoyance politique puisqu’il combattit le nazisme sans se laisser séduire par les sirènes de Moscou tout en jugeant inconséquent le pacifisme d’un Tippett.
S’il est une chose que Vaughan Williams appréciait chez autrui, c’est d’avoir une idée, être sincère, et s’y tenir. A la première Guerre Mondiale, il s’est engagé malgré son âge (42 ans en 1914). Pendant la Seconde, il a écrit une lettre à Tippett qui était objecteur de conscience en disant : « je ne partage pas votre opinion, mais je vous félicite de vous y tenir » ; et quand Tippett a été jugé en 1943 par le tribunal pour son engagement pacifiste, Vaughan Williams est monté à la barre pour prendre sa défense. Il fut très tôt anti-nazi sans jamais être anti-allemand.
Pour finir, laquelle de ses symphonies préférez-vous et laquelle conseilleriez-vous pour une première écoute ?
J’aime beaucoup la Cinquième, dédiée à Sibelius, typique du grand Vaughan Williams modal. Il est à noter que, datant de 1943 – le compositeur avait alors 71 ans - et de par son ton serein, chacun pensait qu’elle serait la dernière ; or quatre autres suivront ! La Neuvième fut créée cinq mois avant sa mort à 86 ans. Pour commencer, je conseillerais, pour essayer de se faire une idée la plus complète possible, d’écouter les symphonies du milieu n° 3 à 6, qui fonctionnent par paires : 3 et 5 d’une part, très modales, et 4 et 6 de l’autre, délibérément « modernes » et perçues comme telles à l’époque.