Si elle invite régulièrement des artistes confirmés, notre association n'en porte pas moins une attention sensible aux jeunes talents, et c'est grâce aux soins de Marcel Weiss qu'elle convie en ce lundi de mi-novembre Yves Chauris, dont une nouvelle pièce Un minimum de monde visible sera créée par l'Ensemble Intercontemporain et Pablo-Heras-Casado à la Cité de la musique le 14 janvier 2014 – après le Concertgebouw à Amsterdam trois jours plus tôt.
Ce jeune compositeur trentenaire, dont le langage personnel se veut accessible à un large public, n'est pas issu d'une famille musicienne, mais a montré précocement des dispositions pour la musique – plongé dans un traité d'harmonie à sept ans, il a rapidement improvisé sur le piano du foyer natal, à Brest, et a tenté très tôt de déchiffrer l'Opus 111 de Beethoven. Entré au Conservatoire de Paris à 18 ans, il se reconnaît des professeurs – parmi lesquels ceux d'analyse lui ont apporté beaucoup – mais pas de maître. Il confesse une profonde admiration pour Dutilleux, qu'il regrette n'avoir jamais abordé, et comme ce grand monsieur récemment disparu, il aime mûrir ses œuvres, travailler sur le timbre, les mimétismes de couleurs. Ainsi, dans l'une d'entre elles, il joue sur les fréquences inhabituelles du violoncelle, ailleurs il essaie de reproduire des attaques avec des instruments non accordés, manie la scie musicale. Après deux ans de résidence en composition à la Casa Velasquez à Madrid, il est parti six mois à la fondation Kujoyama au Japon, où il a été fortement impressionné – en particulier par les nombreux aspects cachés de la vie sociale nipponne, contraignant souvent à passer par des intermédiaires pour des demandes qui, en Europe, se feraient directement.
Avec l'évocation du processus d'écriture sonne naturellement l'heure de l'informatique musicale vis-à-vis de laquelle Yves Chauris, adepte du papier et du crayon, entretient une certaine méfiance – il n'a d'ailleurs pas suivi de cursus à l'Ircam et sans doute son refus à l'admission avait-il quelque chose d'augural. Notre convive estime que le procédé n'a pas encore atteint sa maturité – les chefs-d'œuvre qui en sont issus ne sont pas encore arrivés. On rencontre parfois des bugs pendant les concerts, et l'assistance à la composition ne le satisfait guère. A rebours d'une mathématisation de l'écriture musicale, il préfère rester intuitif dans son travail, et ne pas subir d'autres contraintes que celles qu'il s'est choisies – par exemple sur une harmonie – et conserver la liberté d'invention quant aux autres paramètres. Cette défiance à l'endroit de la technologie se nourrit aussi d'un désir de fouiller les instruments, l'idéal restant bien entendu de travailler avec des musiciens que l'on connaît.
Explorateur de sonorités nouvelles, il ne recherche pas cependant la nouveauté à tout prix, et se montre sensible au plaisir sonore. L'essentiel est que la pièce marche, avec sa cohérence, son univers propre. Les titres de ses partitions sont essentiellement poétiques – il n'a utilisé un intitulé formel que pour une sonate – et les trouver constitue parfois l'étape la plus délicate du processus créateur. A la question de la narrativité soulevée par l'un d'entre nous, notre invité répond aimer que la musique aille dans une direction, qu'elle soit un discours dont on puisse suivre évolutions et involutions, avec ses accidents – il apprécie beaucoup John Cage. Alors que Written on skin de Benjamin constitue l'actualité de l'Opéra Comique – pour Yves Chauris, le compositeur anglais a réalisé une œuvre magnifique mais moins moderne que ce qu'il fait d'habitude – on s'enquiert des projets de notre hôte. Ils sont du domaine instrumental, avec Sillages, à Brest, et une pièce de vingt-trois minutes pour François-Xavier Roth et le SWR.
On ne peut manquer de retomber de ces hautes sphères pour s'interroger sur les ressources financières d'un jeune compositeur aujourd'hui. Elles proviennent des résidences et des commandes – il en a même accepté de gracieuses plus jeune, mais ne le referait pas. Quant à l'aspect réticulaire d'une telle vocation, elle est pour lui un peu particulière, étant rentré jeune au Conservatoire, avec des condisciples qui avaient trente ans, alors qu'il n'en avait que vingt. Bien sûr, on ne se quittera pas avant de savoir ce que notre invité pense de ses collègues, la fin du repas déliant un peu les langues. Remerciant chaleureusement Yves Chauris d'avoir partagé notre table, nous notons dans nos agendas les prochaines dates où découvrir et approfondir son langage singulier.
(publié en novembre 2013) Gilles Charlassier et Florent Coudeyrat