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Hasard malheureux du calendrier, notre restaurant habituel n'étant pas disponible, c'est au Royal Opéra que la PMI reçoit Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles, et principal coordinateur de l'année Rameau en 2014. Notre déjeuner se trouve ainsi placé sous le signe de la musique française, que notre convive sert depuis treize ans à Versailles, et depuis 2009 aux côtés de son frère Alexandre, lequel est en charge du Palazetto Bru Zane.

À l'origine du Centre de musique romantique française, il y avait le désir de maintenir le palais vénitien dans le domaine public. Une riche mécène, Nicole Bru, lui a apporté un soutien indéfectible, et notre convive de se remémorer la réunion qui devait décider de l'envergure du projet. Partis du répertoire chambriste, plus économe, les protagonistes ont vite avoué qu'une redécouverte du patrimoine musical français de l'ère romantique à la mesure de leurs ambitions passait en réalité par les genres lyriques et symphoniques, ce qui évidemment quadruplait le budget. Mais l'appui financier n'a pas été remis en cause – bel exemple de courage pour la défense de l'art.

 

Benoit Dratwicki

Bien que relevant de missions et de tutelles différentes – l'un dépendant du Ministère de la Culture et l'autre d'une initiative privée – le Centre de musique baroque de Versailles et le Palazetto Bru Zane entretiennent des liens étroits. D'ailleurs le CMBV a suivi l'évolution de Bru Zane, lequel se propose de sortir de l'oubli des pans entiers de la production musicale comme cela avait été fait pour le baroque vingt ans plus tôt. Les démarches esthétiques et philosophiques de la musique française tout au long de son histoire révèlent en effet plus de similitudes que de différences – « de Lully à Massenet, même regards, mêmes combats ». Au demeurant, les deux structures se rejoignent sur le répertoire dit « frontière » – de Gluck à Berlioz pour le dire sommairement. « Les ouvrages de Salieri et Puccini créés en France par exemple, pour ne pas évoquer le cas de Cherubini, font partie du patrimoine musical français au sens large, quand bien même ces auteurs sont nés ailleurs.»

Les deux institutions entendent redonner vie à une tradition du chant français qui s'est dissoute en même temps que les troupes dans les maisons d'opéra à la fin des années soixante. « À l'inverse des générations précédentes de chanteurs baroques – dont certains s'étaient lancés dans cette niche presque par défaut – la nouvelle n'interroge plus les sources et les manuscrits aussi systématiquement. D'aucuns parmi les pionniers le déplorent, mais il faut aussi y voir là le signe de l'assimilation de pratiques et de répertoires par des interprètes désormais capables de balayer un large spectre stylistique sans rien céder sur la justesse idiomatique. »

À la croisée des problématiques artistiques et économiques, on évoque les partenariats avec les labels discographiques afin d'accroître la diffusion de ces ouvrages exhumés. Si Bru Zane entretient des liens particuliers avec certaines maisons comme l'Opéra Comique, et soutient une production scénique par an – cette saison, Ali-Baba de Lecocq, la précédente Mârouf de Rabaud – il apporte également son concours à d'autres qui relèvent de ce répertoire romantique français.

Pour revenir à la sphère baroque, notre convive souligne la conséquence d'un héritage fastueux : « Versailles a permis une floraison artistique remarquable mais dispendieuse, et à l'ère de la rentabilité, il est plus aisé de monter un Vivaldi ou un Haendel qu'un Lully ou un Rameau ». Nonobstant cette question financière quant à la prudence des programmateurs et les distorsions de l'approche discographique, il convient de se réjouir de ce qu'aujourd'hui par exemple l'ensemble du corpus lyrique de Lully est disponible, parfois dans plusieurs bonnes versions, quand il y a deux décennies, il fallait se contenter de cinq opéras, chacun dans des gravures sans concurrence.

L'on en vient alors naturellement à l'année Rameau – disparu il y a deux-cent cinquante ans – patronnée conjointement par le Ministère de la Culture et le CMBV. Si en 1683, pour le tricentenaire de sa naissance, le compositeur dijonnais était encore une curiosité, on peut dire qu'en 2014, il est désormais inscrit au répertoire. Pour autant, il restera des pages à redécouvrir, à l'instar des Fêtes de l'Hymen et de l'Amour, présenté à Versailles en février prochain. D'autres ouvrages attendent une nouvelle lecture, tel Zaïs qu'enregistrera Christophe Rousset, la parution accessible témoignant de son époque. Par ailleurs, si Rameau est perçu comme plus décoratif que Lully, il n'en possède pas moins une authentique profondeur dramatique, et ces commémorations seront l'occasion d'amender des jugements parfois simplistes. Les expositions à Lille, Dijon, Versailles et à la Bibliothèque nationale de France seront coordonnées pour permettre des interactions entre elles. L'ensemble du programme sera disponible sur la toile au plus tard le 6 janvier prochain, sur un site spécialement consacré à l'évènement.

La fin de notre rencontre approche. Benoît Dratwicki se réjouit de ce que cette année Rameau permettra de fédérer des énergies et des finances trop souvent utilisées sans concertation, et soulève la question de l'utilité d'une programmation. A n'en pas douter, la curiosité a de beaux jours devant elle, et il est à souhaiter que les tutelles en fassent de même – ce qui n'est pas toujours le cas, certaines préférant bercer la paresse – supposée ou réelle – du public. Il est alors temps de remercier notre invité et de prendre note des prochains rendez-vous qu'il nous a indiqués.

Gilles Charlassier