La Sérénade de Benjamin Britten : poésie anglaise, musique universelle
Lorsqu'il compose sa Sérénade pour ténor, cor et cordes en 1943, Benjamin Britten n'est pas encore le grand compositeur d'opéras que l'on connaît aujourd'hui : il rencontrera son premier succès lyrique deux ans plus tard avec Peter Grimes. Cependant, la voix est déjà son instrument de prédilection : plus particulièrementcelle du ténor Peter Pears. Celui-ci partagera la vie et l'œuvre ducompositeur, son humanisme aussi qui transparaît dans cette Sérénade qui emprunte aux poètes anglais (Tennyson, Blake, Keats...) pour dire, à travers le thème de la nuit, l'universalité des émotions.
Cette conférence de Jean-Guillaume Lebrun, organisée par la radio Accent 4 (www.accent4.com), a été prononcée le 4 décembre 2014 comme « avant-propos musical » au concert de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par HK Gruber. Nous en publions ici un résumé.
La Sérénade pour ténor, cor et cordes date de 1943, soit deux ans avant la création de Peter Grimes au Festival de Glyndebourne. Elle se situe à un tournant de la carrière du compositeur et nous allons donc nous intéresser à cette première période de son activité créatrice, ce qui amène, pour un compositeur aussi précoce, à remonter à ses toutes premières années.
Edward Benjamin Britten naît en 1913, à Lowestoft, sur la côte est de l'Angleterre, le 22 novembre, jour de la Sainte Cécile, patronne des musiciens.
Il reçoit ses premières leçons de piano de sa mère à l'âge de 5 ans et se met aussitôt à composer. À 11 ans, il assiste à l'exécution du poème symphonique The Sea de Frank Bridge dirigé par le compositeur. C'est une révélation et, trois ans plus tard, le jeune Britten devient son élève. Il se passionne alors pour les « modernistes » : Mahler, Stravinsky, Schoenberg, Chostakovitch... Engagé comme compositeur de musiques de film, il fait déjà de la voix son instrument de prédilection : Quatre chansons françaises (1928), Our Hunting Fathers (1936), Les Illuminations (1939).
Les rencontres sont déterminantes dans l'œuvre de Benjamin Britten. La Sérénade pour ténor, cor et cordes est ainsi une véritable « sérénade à trois », composée pour le corniste Dennis Brain (1921-1957) et le ténor Peter Pears (1910-1986), qui partagera la vie du compositeur jusqu'à sa mort en 1976.
Ce cycle de six poèmes anglais, du 15e au 19e siècle, est précédé d'un prologue confié au seul cor, jouant en harmoniques naturelles (sans utiliser les pistons), qui installe l'auditeur dans une atmosphère de rêverie quelque peu mélancolique. Les deux premiers poèmes, la « Pastorale » (Cotton) et le « Nocturne » (Tennyson) plantent le décor : la musique s'y fait délicatement et subtilement illustrative.
Avec l' « Élégie » (Blake), plus de pastorale mais une longue élégie funèbre qui n'est pas sans évoquer Moussorgski. EdwardSackville-West, dédicataire de l'œuvre, parlait à son propos de la « sensation du péché au cœur de l'homme ». Cette nuit mortifère se prolonge dans le chant funèbre aux allures mahlériennes qui suit (« Dirge », anonyme du 15e siècle).
Après l'extravagance toute baroque de l'« Hymne » (Jonson), illuminé par les sonneries du cor et les vocalises virtuoses du ténor, le « Sonnet » de Keats retourne à des climats plus incertains (rythme ralenti, dissipation des certitudes harmoniques, dynamique retenue), dans une atmosphère qui n'est pas sans évoquer le Debussy de Pelléas et Mélisande ou le Bartók du Château de Barbe-Bleue. L'œuvre se conclut avec un épilogue, joué par le cor en coulisses, comme éloigné dans les profondeurs du sommeil.
Ainsi se termine la Sérénade mais Britten n'en n'avait pas fini avec la nuit, qui peut être un intéressant fil thématique pour découvrir son œuvre. La nuit habite littéralement l'opéra Peter Grimes, et l'on trouve de saisissantes musiques nocturnes dans Le Tour d'écrou, Billy Budd, Owen Wingrave ou bien sûr Le Songe d'une nuit d'été. La Sérénade connaîtra une sorte de prolongement en 1958 avec le Nocturne pour ténor, cordes et sept instruments obligés, qui repose également sur un florilège de la poésie anglaise.
Jean-Guillaume Lebrun