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Avec son verbe généreux et passionné, Hervé Niquet lance idéalement la saison de la PMi, qui retrouve pour l'occasion le salon Marguerite-Long de la Bibliothèque La Grange-Fleuret, « port d'attache » de nos rencontres apéritives.

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De retour de Londres où il s’est produit avec son ensemble au Wigmore Hall, Hervé Niquet évoque tout naturellement la vie d’itinérance des artistes, contraints à passer un temps considérable dans les transports… surtout quand un évènement comme celui de la mort de la reine d’Angleterre vient s’ajouter aux délais d’attente déjà importants à la frontière franco-britannique. 2022 a été une année extrêmement lourde en raison de l’anniversaire de Molière et du report de concerts annulés pour cause de Covid.

Le fondateur du Concert Spirituel, flanqué de Stéphanie Devissaguet (directrice générale) et de Cécile Le Calvez (responsable de la communication), revient sur sa formation de claveciniste et de pianiste, laquelle l’a amené à occuper le poste de chef de chant à l’Opéra de Paris au début des années 1980. S’il garde un souvenir inoubliable d’Oliver Messiaen (création de Saint François d’Assise en 1983 au Palais Garnier) et de Klaus Huber, la musique contemporaine a été, selon lui, victime d’une regrettable doxa. C’est fort de ce constat et du travail en pure perte que réclamait la mise au point de partitions complexes et mal entendues qu’Hervé Niquet s’est tourné vers le baroque – son cœur de répertoire – puis la musique classique et romantique. Au chapitre de l’orchestration, art qui fait défaut à maints compositeurs contemporains, il salue son professeur Yvonne Desportes et loue le savoir-faire d’un Théodore Dubois et d’un Max d’Ollone.
L’une des raisons principales qui a poussé Hervé Niquet à embrasser la profession de musicien est le contact avec le public – une vocation en commun avec Leonard Bernstein. Pour que ce point de rencontre opère de manière optimale, chaque membre du Concert Spirituel (instrumentistes et chanteurs) doit trouver sa (juste) place dans un tout. Pour ce faire, le chef d’orchestre veille à cette harmonie collective et se montre intraitable quant à l’assiduité des membres.
Hervé Niquet se réjouit de son partenariat avec le Château de Versailles (grâce à la programmation audacieuse de Laurent Brunner et de Benoît Dratwicki) et le Palazzetto Bru Zane (grâce à Alexandre Dratwicki). Il rappelle que c’est René Koering qui rendit possible la collaboration mémorable avec Shirley et Dino autour de King Arthur, dont la première eut lieu au Festival de Montpellier en 2008 : « Ce n’est pas de l’opéra, c’est un spectacle ! », s’enthousiasmait un bambin à l’issue des représentations qui ont su fédérer un public venu de tous horizons.
Le Concert Spirituel enregistre aujourd’hui majoritairement pour Alpha et Château de Versailles Spectacles, après s’être illustré chez les labels Adda, Virgin ou Glossa. À la tête de plus de 140 d’enregistrements, Hervé Niquet peut compter sur sa complicité avec le directeur artistique afin de contrôler en un rien de temps les différentes étapes de la post-production.
Le chef aborde brièvement son enseignement à Toulouse (où il eut entre autres Vincent Dumestre comme élève) et livre son diagnostic sur les centres d’études polyphoniques qui, selon lui, ont pris le relais des maîtrises décapitées sous la Révolution : les lacunes patentes du chant choral français, si l’on compare avec d’autres pays (Angleterre, Allemagne, Belgique, Canada…), sont la conséquence directe du versant sombre de la Révolution.
Parmi les projets nourris par Hervé Niquet, citons son souhait de :
- créer un festival à Marrakech (où il a élu domicile)
- fêter les 40 ans du Concert Spirituel en 2027 (qui coïncideront avec ses 70 ans)
- jouer des musiques anciennes à grands effectifs jadis enregistrées par Philip Pickett (et Niquet de siffloter une danse extraite d’un recueil de Tielman Susato)
- de reprendre au Théâtre du Châtelet un concert spécial sur Notre-Dame qui n’a pu être donné qu’une fois : grâce à l’ordinateur, le son de l’orgue et l’acoustique ont pu être reconstitués ; il n’est pas jusqu’aux odeurs de brûlé et de chantier qui ne participent à ce spectacle immersif. Notre homme aime d’ailleurs à fêter cette fratrie entre les sens… comme en témoignent ses talents reconnus de cuisinier.

Jérémie Bigorie
Photo © PMi