Pour son premier déjeuner de l’année 2015, la PMI reçoit à sa table habituelle Philippe Hersant, l’un des compositeurs les plus joués de sa génération – à juste titre. Jean-Guillaume Lebrun présente, avec un authentique enthousiasme, notre invité, qui fait partie des musiciens « inclassables », à l’instar d’un Dutilleux par exemple. Son œuvre, riche de plus de cent cinquante opus, touche à l’ensemble des genres, du symphonique au lyrique, en passant par le répertoire de chambre ou le concerto, voire la musique de ballet et de film, avec un langage personnel et poétique, qualifié par certains de « clair-obscur », qui enjambe les rivalités de chapelles, audemeurant en voie d’extinction. Les créations de notre hôte bénéficient souvent de reprises par nombre d’interprètes, et lui valent la reconnaissance par la profession comme par le public, à l’image des Victoires de la musique dont il fut deux fois lauréat. La dimension sociale de son travail ne lui a d’ailleurs pas échappé, composant pour le festival de Clairvaux à partir d’écrits de détenus.
Philippe Hersant (photo DR)
Faisant rebond avec l’actualité, on s’enquiert de la valeur d’une Victoire de la musique : flatteuse pour les maisons de disques et les solistes, mais sans réelle conséquence sur son activité, témoigne notre convive – lequel avait été nominé pour ses Vêpres commandées pour le huit-cent-cinquantième anniversaire de Notre-Dame. Il est surtout dommageable que ce soit la seule soirée consacrée à la musique classique sur le petit écran à destination du grand public, sans compter que les œuvres jouées ne puisent pas dans un fonds suffisamment renouvelé, et sont données en extraits réducteurs – à peine quelques minutes. Les réactions de la critique s’avèrent contrastées, et Philippe Hersant ne se plaint nullement de ne pas être consensuel. Son Château des Carpates a reçu le prix du Syndicat de la critique sans avoir eu besoin de faire l’unanimité. En revanche, il regrette les erreurs factuelles que l’on trouve sous certaines plumes, ce qui se révèle déplaisant.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour un agnostique, notre invité, baptisé à Saint-Pierre de Rome – là réside peut-être la clef, suggère-t-il avec un sourire – manifeste un vif et constant intérêt pour la musique religieuse. Son enracinement multiséculaire et la beauté des textes motivent cette passion. Le projet du Cantique des trois enfants dans la fournaise, variation sur le Benedicite pour la Maîtrise de Radio France et le Centre de musique baroque de Versailles, en offre un admirable avatar. Conçue pour quatre chœurs de dix-huit chanteurs, répartis en quadriphonie, et quatre ensembles instrumentaux faisant appel, entre autres, à un effectif baroque où l’on retrouve par exemple la viole de gambe, la pièce démontre une belle diversité d’inspiration. La création se tiendra à Abbeville le 17 mai prochain, avant d’aller à la Chapelle Royale de Versailles le 2 juillet 2015 et à Noirlac le 11 juillet.
Autre registre où Philippe Hersant s’est illustré avec succès, avec Le Château des Carpates et Le Moine noir, l’opéra pose des problèmes de reprise et de diffusion, lié en particulier aux enjeux de la fosse d’orchestre, dont l’effectif se montre parfois trop important pour tourner facilement. De fait, les jeunes compositeurs privilégient les formats plus réduits – et le festival d’Aix-en-Provence offre à cet égard un intéressant tremplin dans ce domaine spécifique.
Questionnant l’héritage des avant-gardes, notre convive a pris ses distances envers celles-ci, et confie la crise qu’il a connue à la fin de ses études, où il était prêt à abandonner la composition, pourtant désir sinon vocation qu’il eut dès l’enfance, n’aimant pas la musique qu’il écrivait sous le dogme dominant à l’époque – fin des années soixante, début de la décennie soixante-dix, plus versée dans les happenings que le sérialisme cependant. Sa résidence à la Villa Médicis – obtenue grâce à Dutilleux – lui a permis de prendre un nouveau départ. Quant aux figures et aux maîtres qui l’ont marqué, il cite volontiers Georges Hugon, plus que Jolivet, lequel traversait alors une période difficile, ou encore Messiaen, où il eut le malheur de tomber sur un cours trop ornithologique à son goût, baignant dans une atmosphère de recueillement qui ne l’était pas davantage. Sa culture musicale, il la doit à France Musique, où il est entré grâce à Charles Chaynes. Ligeti, et plus encore Berio, Florentz, et davantage encore Greif, comptent parmi les compositeurs qui l’ont marqué.
On évoque encore la fondation Banque Populaire Jeunes Talents, désormais bien connue, et qui rencontre un succès notable auprès de la nouvelle génération – même si les médias s’en font modestement l’écho – ce qui nous amène aux questions de diffusion et aux moyens d’imposer de nouveaux visages. Notre convive ne rougit pas d’écrire au piano – aveu honteux et discriminant il y a quelques décennies. Quant à la question financière, peu de compositeurs peuvent vivre de leur musique, et Philippe Hersant appartient depuis environ quinze ans à ce cercle très restreint.
Le repas se concluant, il est temps de remercier notre invité pour sa parole généreuse et sincère, et l’on ne manquera pas de noter ses prochains rendez-vous dans notre agenda.
Jean-Guillaume Lebrun et Gilles Charlassier (le 3 février 2015)