dans cette rubrique :

Texte prononcé aux Obsèques de Guy Erismann

Bonjour, Nous ne sommes pas là mais rien n'est perdu : laissez-nous un message. Ainsi pouvait-on entendre, hier encore, la voix de Guy Erismann sur le répondeur familial. Nous ne sommes pas là...

Cette fois, Guy, tu nous as menti et c'est bien la première fois. Mais si, tu es là : non seulement par ce que cet enregistrement est resté dans l'appareil mais parce qu'on ne saurait si promptement tourner la page. Tu es là, pour moi depuis ce jour (de 1962, peut-être) où je t'ai rencontré dans les locaux de la Revue Disque et ceci jusqu'à cette escapade, toute récente on nous étions allés applaudir à Genève une Lady Macbeth de Chostakovitch, très déshabillée.Guy Erismann photo DR

J'ai appris, hier, sur le faire-part que tu avais 85 ans. Dirai-je que je n'avais jamais songé à l'âge que tu pouvais avoir car c'est par milliers, peut être par millions que nos échanges ont cimenté, petit à petit, une présence, toujours disponible et fraternelle, hors de tout problème de hiérarchie, d'âge, de préséance. C'est là ta façon rare d'écouter et de créer à la fois : ainsi es-tu, à jamais, vivant parmi nous.

Rien de ces innombrables inventions ponctuelles n'est oubliable. Oh ! non point que nous ayons toujours été sérieux ni graves mais justement, parce qu'en ces instants si nombreux, tu trouves toujours le temps de nourrir ces complicités (complicités avec tant d'autres, aussi).des complicités au sein desquelles plus rien n'est à négliger et surtout pas de nécessaires rigolades.

À la Presse Musicale Internationale où je te rejoignis il y a une douzaine d'années nous sommes les-cancres-assis-tout-au-fond-près-du-radiateur et on se tient plutôt mal. Si, parfois, les dîners s'éternisent il nous arrive même de chanter, tout simplement. Oh non pas une symphonie de psaumes mais plutôt elle avait une jamb' de bois quand ce n est pas, carrément la dondon dodue.

On supporte ces incartades car, dans nos solennelles assemblées générales, tu parles peu mais volontiers le dernier. Le dernier parce que remettant ordre, clarté, nécessité dans des débats parfois oubliables. C'est que, soudain, toi, si discret tu nous fait profiter de ta formidable expérience, expérience des médias que, dès 1945, tu avais investis par tes seules compétences et ton dynamisme.

Faut-il le redire ? la décentralisation de nos radios, le Théâtre Musical et tout ce qui fut musique au Festival d'Avignon, France Culture même ne seraient pas ce qu'ils sont sans ta présence constante, précise, inspiratrice.

Et il y a Prague, aussi, où tu fréquentas les plus grands, de Josef Palenicek à Karel Ancerl. Prague dont tu as fait ta seconde patrie, assurant une osmose grandissante entre Paris et ce fameux Hradschin qu'Apollinaire avait tenté de nous rendre familier.

D'où le succès de ce Centre Culturel Tchèque dans lequel tu t'es investi tout entier, lieu où souffle l'esprit, à deux pas de Saint Germain des Prés. Répondant à tes encouragements, on a promu là tant de concerts imprévus, rayonnants, bousculant les hiérarchies... Nommerai-je seulement l'Ensemble Calliopée ? Dois-je évoquer, cette soirée où un tout jeune ténor tchèque était venu nous chanter le Journal d'un disparu ? Par l'engagement de ce tout jeune homme, Janacek mit en larmes tout un parterre de critiques blasés... (je ne citerai pas de noms).

Oui, plus encore qu'à la direction de la musique à Radio France (une direction sans finasseries ni vaines promesses) je préfère te retrouver là où tout le monde, français ou tchèques, t'aime sans nuance et a tenu à t'apporter l'hommage de talents si divers. Une activité presque secrète, soudain, mais où, dans le prolongement du Mouvement Janacek, on te retrouve tout entier, attentif et productif car c'est dans le même élan que, tout modestement, tu as consacré (définitivement je crois) ton carré d'as : Smetana, Dvorak, Janacek, Martinu.

Guy Erismann et Marcel Marnat photo DR

Un apostolat singulier aux retombées singulières : je t'ai vu t'en aller dans le Jura, faire vivre, dans leur toute jeune médiathèque, ce Smetana qu'ils ne connaissaient guère. Éveiller. Tu prêtas cette faculté à Smetana, précisément, mais l'éveilleur parmi nous c'est toi. Et aussi quand, abandonnant les cimes, tu nous fit découvrir les Trésors de la chanson française. De même tu aimes qu'on se rende à tes dîners (succulents) avec en poche quelque poème ou quelque prose inattendue mais fruitée dont tu tiens à ce que nous soyons les interprètes.

Car la culture, pour toi, ce ne sont pas des fleurs sans tige : il faut la vivre et il y faut du terreau, la liberté des grands vents et les élans de la vie -comme de l'amour.

L'amour ! Tu ne parlais que de ça et (toujours exemplaire), tu as mis à notre portée une exemplaire odyssée amoureuse au sein même de cette radio nationale où de moins en moins s'affirmaient les impératifs de l'authentique. En cela même tu établis, une fois de plus, un rapport bien rare entre l'intime et l'action publique. Guitou (il arrive que, jaloux des prérogatives de ton épouse, nous t'appelions ainsi) Guitou souviens toi.

Souviens toi ce repas traîtreusement arrosé, à Saint Jean de Luz : on nous confia que le montagne d'en face si on la voit, il va pleuvoir, si on ne la voit plus, c'est qu'il pleut. Et toi d'ajouter : et si je la vois double ? Souviens-toi, à Bonn, ce beau marron d'Inde ramassé dans la cour de Beethoven : je suis sûr que tu sais encore en quelle potiche tu l'as mis à l'abri. Souviens toi, aussi : à Genève, cette libraire qui ne pouvait croire qu'elle avait devant elle, tout simplement, Mr Guy Erismann

La vie c'est ça, n'est-ce pas ? Dès lors comment l'aurais-tu pu quitter ?

Nous ne sommes plus là mais rien n'est perdu : laissez nous un message, nous vous rappellerons dès notre retour...