Distinguer « une personnalité du monde musical dont le travail a incité la critique à reconsidérer une œuvre, un compositeur, une époque ou une tradition » : le rappel de cette clause du règlement du Prix, par Jean-Guillaume Lebrun, Président de la PMi, accueillant au Café Falstaff, le 22 mars dernier, le Quatuor Béla, lauréat 2015, justifiait, s’il en était besoin, ce choix, récompensant un ensemble qui, depuis dix ans, défend le répertoire contemporain et la création sous toutes ses formes.
Après avoir dû renoncer à s’appeler Ligeti, leur auteur de prédilection (le nom était déjà pris…), les quatre musiciens ont choisi le parrainage de Bartók, qui symbolise idéalement, par son œuvre et son parcours d’ethnomusicologue, autant une volonté de décloisonner les cultures que de concilier avant-garde et enracinement populaire. Exemplaire pour des musiciens partenaires du griot malien Moriba Koïta, de l’altiste celte (ex-Arditti…) Garth Knox, et du violoniste folk Jean-François Vrod.
Dignes successeurs du Quatuor Arditti, Prix Antoine Livio 1992, « les Béla », quatre jeunes musiciens issus des CNSMD de Lyon et Paris, conçoivent le quatuor comme un « terrain de jeu » ouvert à l’expérimentation et à la rencontre de personnalités atypiques et d’esthétiques éclatées, hors de tout sectarisme. Résolument ancrés en région Rhône-Alpes, ils s’estiment chanceux d’avoir pu, à leur rythme, se bâtir et progresser sans renoncer à leur souci d’exigence, grâce au soutien de la DRAC, des programmateurs et à l’empathie du public pour leur projet.
Un public souvent généraliste, celui des scènes nationales, auquel le quatuor propose des programmes accessibles, où Beethoven et Schubert voisinent avec les auteurs contemporains, par exemple le compositeur belge Walter Hus avec Bach… pour une soirée « Bacchus » – autour d’un verre de vin ! – sur la Scène Watteau de Nogent-sur-Marne qui accueille pour une résidence notre quatuor, libre de proposer des programmes de plus en plus exigeants à un public fidélisé et chaleureux.
D’où leur préférence pour des lieux et des formes de concert atypiques, dont ils sont parfois les initiateurs, comme le festival des Nuits d’été, créé en Savoie par Julian Boutin, l’altiste du quatuor, ou comme celui de Chaillol, dans les hautes vallées entourant Gap.
Le quatuor Béla compte bien poursuivre, au plus haut niveau d’exigence, sa mission de transmission, en dépit des menaces planant aujourd’hui sur le monde de la culture : baisse des subventions menaçant la programmation des scènes nationales, disparition des structures d’accueil, festivals et associations de musique de chambre dont le fonctionnement dépend du bénévolat, manque d’ambition artistique des responsables locaux…
Après s’être produit devant les Nymphéas de Monet au musée de l’Orangerie, le quatuor renouera le dialogue avec la peinture au musée Vasarely dans la cadre de la manifestation « Aix en juin » : un spectacle autour de l’œuvre de Stravinsky, de concert avec le jeune quatuor tunisien Cadences, des choristes amateurs et un orchestre d’enfants d’une école de Marseille. Et l’an prochain, le quatuor a reçu commande de l’Opéra de Lyon d’un opéra pour le chœur d’enfants de la Maîtrise, Borg et Théa, mis en scène par Jean Lacornerie.
Une trentaine de créations – notamment de pièces composées par Frédéric Aurier, un des deux violonistes – jalonnent ce parcours, fruits de commandes cofinancées ou même intégralement payées par le quatuor, qui ne touche des subventions que depuis deux ans et travaille le plus souvent dans l’urgence, mettant à profit la répétition d’un concert pour préparer leurs nouveaux programmes – trois parfois en un seul mois ! Un rythme assumé, autant sinon plus par une envie irrépressible d’innover que par souci économique pour ces quatre intermittents du spectacle, qui trouvent encore le temps d’aventures musicales personnelles.
On le voit, le quatuor ne manque pas de projets, notamment dans le domaine discographique. Après un disque Ligeti, paru chez Aeon en 2013 et couronné de nombreux prix, il recherche un nouveau label pour un véritable partenariat artistique, à l’écoute de sa spécificité. Parmi ces projets, citons une intégrale Britten, un CD consacré à l’œuvre de Frédéric Aurier, un autre regroupant des pièces commandées à Francesca Verunelli, Raphaël Cendo et Marco Stroppa, et un dernier avec un de leurs partenaires fétiches, le conteur Albert Marcœur (disque illustré par Plonk et Replonk).
Marcel Weiss
Photo © Jean-Louis Fernandez