À l'occasion de la recréation de l'opéra Hulda et du déplacement d'une délégation de la Presse musicale internationale à la Salle philharmonique de Liège, José Pons revient sur l'œuvre lyrique de César Franck.
La musique vocale et l’opéra n’occupent qu’une place somme toute accessoire dans la vaste production musicale de César Franck (1822-1890). Pour autant, il convient de ne pas négliger cet aspect de son œuvre qui, en cette année des commémorations du bicentenaire de sa naissance, est mis à l’honneur, notamment grâce aux initiatives du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française.
Une intégrale des mélodies et duos du compositeur vient ainsi de paraître au disque réunissant le baryton Tassis Christoyannis et la soprano Véronique Gens avec Jeff Cohen au piano. Cet enregistrement, qui fait l’objet d’une présentation remarquable, permet enfin d’apprécier dans son ensemble ces mélodies, tour à tour graves ou plus légères, brèves ou développées, composées depuis les années de jeunesse jusqu’à celles de la vieillesse. Il reste à souhaiter que les cantates et oratorios de César Franck, en premier lieu Les Béatitudes, comportant huit solistes vocaux, ouvrage si souvent donné au concert jusqu’à la première guerre mondiale et aujourd’hui fort négligé, bénéficient d’un même entreprise de réhabilitation.
Comme le notait Charles Gounod, « pour un compositeur, il n’y a guère qu’une route à suivre pour se faire un nom, c’est le théâtre… ». Cette route institutionnelle se trouvait surtout réservée au XIXe siècle aux lauréats du Prix de Rome. Pour autant, César Franck qui avait quitté prématurément le Conservatoire, ne pouvait échapper à cette règle s’il voulait s’imposer à son tour dans le théâtre lyrique. Il débute la composition de son premier ouvrage, Stradella, sur un livret en cinq actes, destiné à Louis Niedermeyer et rédigé par Émile Deschamps et Émilien Pacini. Basé sur la vie du compositeur fécond Alessandro Stradella (1639-1682), le livret dont l’action se situe à Venise présente un portrait romancé et fort romantique du compositeur devenu aventurier et grand amateur de femmes qu’il séduit par le charme de sa voix. La création de l’ouvrage de Niedermeyer à l’Opéra de Paris en mars 1837 – vilipendé par Hector Berlioz – doit beaucoup au talent des deux chanteurs d’exception titulaires des rôles principaux, le ténor Adolphe Nourrit et la soprano dramatique Cornélie Falcon. Daté de 1841/1842, l’ouvrage de César Franck, réduit à trois actes non orchestré dont quelques extraits furent cependant donnés en concert privé peu de temps après sa composition, devait attendre le 22 mai 1985 pour être créé sur la scène de l’Opéra-Comique. Dans un arrangement pour deux pianos de Gérard Parmentier, Stradella bénéficiait de la présence de jeunes chanteurs en formation au sein de l’École d’art lyrique de l’Opéra de Paris. Orchestré ensuite par le compositeur belge Luc Van Hove, Stradella fut présenté avec succès à l’Opéra Royal de Wallonie à Liège, ville natale de Franck, en septembre 2012 dans le cadre de la réouverture du théâtre au terme de vastes travaux de réhabilitation.
Après cette première tentative un rien avortée, César Franck pour son deuxième essai lyrique fit appel à deux librettistes de renom, proches de Gaetano Donizetti (on leur doit le texte de La Favorite), Alphonse Royer et Gustave Vaëz. C’est principalement avec le second que Franck devait plus intimement collaborer tout au long des années 1851 à 1853. Le Valet (ou Le Garçon) de ferme, opéra-comique historique se situant dans l’air du temps, primitivement destiné au Théâtre-Lyrique qui cherchait à favoriser les jeunes talents, se présente sous une forme traditionnelle d’ensembles, airs, couplets et duos. L’action se situe en 1690 en Irlande autour de Thomas, jeune valet, dans le cadre de l’opposition acharnée du parti catholique de Jacques II au parti protestant dirigé par Guillaume d’Orange, ce dernier remportant la victoire décisive. En fin de compte refusé, ce Valet de ferme non publié n’a jamais vu le jour, ce qui devait fortement chagriner César Franck.
Il se remet à la tâche plus de vingt-cinq ans plus tard avec Hulda, opéra en quatre actes et un épilogue qui fut composé sur une longue période s’échelonnant de l’été 1879 à septembre 1885. Le livret est réalisé par le poète et dramaturge prolifique Charles Grandmougin d’après une légende scandinave du romancier norvégien, Bjørnstjerne Bjørnson. Cet ouvrage situé au pays des vikings comporte notamment, et comme habituel à l’époque, un vaste ballet allégorique souvent joué indépendamment de l’opéra lui-même du vivant du compositeur, ce avec grand succès. Cette magnifique page symphonique en cinq mouvements porte le titre de « La Lutte de l’Hiver et du Printemps ». Une nouvelle fois échaudé par les théâtres lyriques qui lui opposèrent un refus, César Franck devait conserver la partition auprès de lui jusqu’à sa mort. Elle ne fut publiée par les éditions Choudens qu’en 1894, année où l’ouvrage fortement coupé et remanié, réduit à trois actes, fut créé posthume sur la scène de l’Opéra de Monte-Carlo. Raoul Gunsbourg, tout puissant directeur inamovible des lieux de 1892 à 1951 (sauf durant la seconde guerre mondiale) avait convié toute la presse musicale notamment parisienne pour commenter l’événement, appuyé en cela par le fils de César Franck, Georges Franck, gardien « avisé » du legs musical de son père. Porté par deux chanteurs d’envergure, la mezzo-soprano Blanche Deschamps-Jehin, première Dalila à l’Opéra de Paris, dans le rôle-titre et le célèbre ténor dramatique Albert Saléza, Léon Jehin le chef attitré de la maison dirigeant l’orchestre, Hulda fut bien accueillie. La musique fut globalement jugée plus lyrique que strictement dramatique, la critique contestant par ailleurs la pauvreté de la mise en scène, des décors et des costumes ! L’ouvrage en version concertante va heureusement renaître dans son intégralité et toute sa plénitude à l’initiative du Palazzetto Bru Zane avec l’appui des forces de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, à Liège déjà (15 mai) puis à Namur (le 17 mai), avant d’être présenté au Théâtre des Champs-Elysées à Paris le 1er juin prochain dans le cadre de la soirée inaugurale du 9e Festival Bru Zane dans la capitale française. La distribution, placée sous la baguette de Gergely Madaras, verra se produire dans les rôles principaux Jennifer Holloway (Hulda), Véronique Gens (Gudrun), Judith van Wanroij (Swalhilde) et Edgaras Montvidas (Eiolf). Un enregistrement sera effectué conjointement aux trois concerts programmés.
Le quatrième ouvrage lyrique de césar Franck a pour nom, Ghiselle. Le compositeur, en ces dernières années de vie, avait demandé à l’écrivain Gilbert Augustin-Thierry, auteur fameux des Récits des temps mérovingiens, un livret dramatique à la manière des opéras de Giacomo Meyerbeer. Effectivement, les scènes tragiques se succèdent jusqu’à verser dans le plus pur mélodrame. L’opposition ici s’établit entre deux pays rivaux, l’Austrasie et la Neustrie et surtout entre deux femmes, Ghiselle et Frédégonde, à la fin du VIe siècle à Paris sous le règne de Clotaire II. César Franck, il faut en convenir, manquait quelque peu de discernement dans le choix des textes qu’il mettait en musique tant à l’opéra qu’au plan mélodique. Ce manque d’intérêt littéraire a très certainement contribué à sa réputation d’homme peu fait pour le théâtre ! S'attelant à la compostion entre 1888 et 1890, César Franck ne parvint qu’à orchestrer le premier acte avant sa disparition. Ses disciples Pierre de Bréville, Vincent d’Indy, Ernest Chausson, Samuel Rousseau et Arthur Coquard finalisèrent l’orchestration à quelques semaines et même à quelques jours encore de sa présentation à la scène. L’ouvrage fut créé posthume toujours sur la scène de l’Opéra de Monte-Carlo le 6 avril 1896, malheureusement en version tronquée en trois actes. Cette fois-ci, Raoul Gunsboug avait déployé de beaux et riches moyens scéniques qui firent honneur à la maison. Avec Léon Jehin à la baguette, il confia les deux rôles centraux à la soprano canadienne vedette du Metropolitan Opera de New-York, Emma Eames (Ghiselle) et à Ada Adini, soprano dramatique américaine (Frédégonde). Comme Hulda, Ghiselle reste très certainement à découvrir.
José Pons
Bibliographie : César Franck, ouvrage incontournable rédigé par Joël-Marie Fauquet et publié aux éditions Fayard en 1999.
Partition de Hulda © Palazzetto Bru Zane / Fonds Leduc