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Thierry Escaich (photo Claire Delamarche)

À un mois de la création à l'Opéra de Lyon de son premier opéra, Thierry Escaich a accepté l'invitation de la PMI au sein de notre table sise à l'étage du Louvre Ripaille, la gargote désormais consacrée par notre confrérie. À sa gauche, Gilles Cantagrel loue les talents d'un compositeur également organiste à la tête de quelque 120 opus. Encore novice dans le domaine lyrique, son catalogue touche cependant à tous les genres, de la musique de chambre au répertoire symphonique en passant par une musique de ballet écrite pour le New York City Ballet, The Lost Dancer, et témoigne d'une inspiration authentique, que Gilles Cantagrel n'hésite pas à qualifier d'humaniste, et qui le distingue des « faiseurs de musique ». Hier méprisé par les avant-gardes, aujourd'hui plus d'actualité que jamais, l'opéra semble constituer un genre auquel tout compositeur se doit de contribuer.

Celui-ci n'a pas manqué d'attirer l'attention d'un compositeur sensible aux formes léguées par la tradition. On trouvera ainsi une passacaille, structuration d'une répétition thématique en phase avec la progression de l'intensité dramatique. Et Thierry Escaich de confirmer : « Je veux que la forme de l'opéra soit perceptible », sans pour autant se constituer de numéros. Toutes divergences esthétiques entendues, on pourra apprécier par exemple l'héritage de Wozzeck. D'une heure trente sans entracte, l'ouvrage ne néglige pas les chœurs. Il s'appuie sur des thèmes et des couleurs reconnaissables, mais ne cède pas pour autant à la tentation du leitmotiv. Sans succomber à la facilité des citations, le compositeur ne s'est pas privé du pastiche – ainsi de la modalité puisée dans les chansons populaires de la Renaissance. La formation requise est un orchestre Mozart - pupitres allant donc par deux - élargi, avec un orgue et un accordéon. Commande de l'Opéra de Lyon, pour six représentations, Claude devrait être repris au Mariinski sous la direction de Valery Gergiev, avec lequel Thierry Escaich entretient d'excellents rapports.Sans détours, Nicole Duault aborde la question du librettiste, Robert Badinter, lequel a choisi le compositeur. Thierry Escaich nous évoque leur rencontre, au domicile du célèbre avocat de l'abolition de la peine capitale, un véritable musée Victor Hugo, témoignage de l'admiration pour ce géant des lettres du dix-neuvième siècle. Alors que le projet initial s'orientait vers le Journal d'un condamné, c'est finalement le court roman Claude Gueux qui a été retenu, dont le génie dramaturgique a semblé plus lyrique, entre autres de par son côté rituel.

Après avoir exposé certains aspects de sa partition, il évoque son travail. A l'inverse de sa pratique habituelle, il a dû réaliser une version pour piano afin de se plier aux contraintes logistiques du genre lyrique – entre autres la distribution vocale. L'imagination sonore perd un peu de sa liberté, qu'elle recouvre au gré des ajustements ultérieurs, au moment de l'orchestration. De même, le soin accordé à la balance entre la fosse et le plateau induit des réglages afin de préserver la lisibilité du texte chanté et éviter aux solistes d'avoir à forcer. Si cette création se nourrit de son expérience dans le répertoire instrumental et symphonique, comme pour la superposition des voix, cette expérience en retour aura certainement un impact sur son processus créatif ultérieur. Notre hôte avoue un goût mais non une passion, ni une nécessité quant à l'opéra. Cette commande n'est pourtant pas la première d'ouvrage lyrique qu'il ait reçue. Approché il y a une dizaine d'années par Nicolas Joël à Toulouse, Thierry Escaich avait décliné, ne se sentant pas encore prêt. Ces engagements ne l'empêchent cependant nullement de travailler régulièrement son instrument. Il revient ainsi de Norvège où il a improvisé sur un film muet, exercice qu'il apprécie particulièrement.

On aborde la question de la reconnaissance d'un compositeur, pour laquelle la carrière discographique est un maillon indispensable, et de citer l'exemple de Thomas Adès. En France, la frilosité des labels constitue un frein regrettable. Cela étant, selon l'opinion de Serge Dorny, le remplissage des représentations de Claude s'annonce favorable – Thierry Escaich indiquant au passage la différence entre le public de l'Orchestre National de Lyon et celui de l'Opéra. À la question de la direction orchestrale, confiée à Jérémie Rohrer, il répond n'être pas un chef qui dirige. Quant aux projets, la venue de Benjamin Millepied, dont il a pu mesurer la sensibilité musicale, à la tête du ballet de l'Opéra de Paris, n'exclut pas une commande, tandis que la ville de Paris lui a confié l'inauguration de la Philharmonie en septembre 2014 – nonobstant les rumeurs, le calendrier devrait être tenu – : un Concerto pour orchestre. Grand défenseur de la musique de notre temps, Paavo Järvi sera aux commandes de son Orchestre de Paris. Au moment de remercier Thierry Escaich d'être venu rencontrer la PMI, on se réjouira de cet éclairage favorable quant à l'avenir de nos institutions musicales.

(publié en février 2013) Gilles Charlassier