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Compte rendu du déjeuner avec Renaud Capuçon, 23 septembre 2014 (photo © renaudcapucon.com)Renaud Capuçon (photo © renaudcapucon.com)

Violoniste international, chef d’orchestre et directeur de festival, Renaud Capuçon brave une voix presque aphone pour nous faire l’honneur de partager notre table. De ce musicien protéiforme, Michel Le Naour résume le parcours pétri de fidélité – partenaires de jeu, mais on de disque depuis ses débuts, Virgin. Notre ami soulignel’originalité et l’audace des choix du soliste, à l’instar d’un récentdisque associant Bach à un compositeur letton contemporain, et met en évidenceson engagement pour les répertoires délaissés et la création. À cet égard,Renaud Capuçon montre un éclectisme et une absence de préjugés remarquables,dépassant des clivages entre musique tonale et atonale qu’il estime être des archaïsmes français hérités des années d’avant-garde après la Seconde Guerre mondiale.

Si le festival de Pâques d’Aix-en-Provence demeure une aventure nouvelle – elle n’en est cette année qu’à sa deuxième édition – le goût pour la programmation est venu trèsrapidement à notre invité, qui évoque ses années de conservatoire à l’adolescence, où il avaitcontacté ses amis pour réunir les vingt-deux autres instrumentistes à cordesrequis par les Métamorphoses deStrauss, avant de mentionner le festival de Chambéry, sa ville natale. Cettesoif de partage, allié à une générosité qui ne lui fait pas craindre desconfrères meilleurs que lui – là où d’aucuns se garderaient de s’entourer decollègues qui pourraient leur faire ombrage –, lui a parfois valu la réputationd’organiser un « festival de copains », expression qu’il récuse parcequ’elle mettrait en doute l’engagement et la qualité artistiques. Mais ilassume mettre à l’affiche les œuvres et les gens avec lesquels il ressent desaffinités – on lui a souvent dit qu’il s’entourait d’une « famille demusiciens », même si ce cercle n’est pas exclusif et encore moins fermé.

La manifestation pascale aixoise,intégralement financée par des fonds privés, bénéficie du soutien d’un mécèneunique, le Crédit Mutuel-CIC, et de l’appui de Dominique Buzet, directeur duGrand-Théâtre de Provence qui met la salle et sa logistique à la disposition dufestival. Le programme ne s’ordonne pas autour de thématiques et préfèretourner autour de « points fixes », avec un orchestre en résidencedifférent chaque année, un compositeur – cette année un focus sur RichardStrauss, une des grandes passions de Renaud Capuçon, qui sera mis à l’honneuralors que l’on célébrera son cent cinquantième anniversaire. Un coup deprojecteur sera donné sur quatre des plus grands chefs de la nouvelle génération– Gustavo Dudamel, Ludovic Morlot, Yannick Nézet-Seguin et Daniel Harding.Notre interlocuteur regrette la mésestime dont ce dernier pâtit en France,notamment de la part d’une certaine critique qui le dénigre après l’avoirdémesurément encensé au moment des représentationsdu Don Giovanni aixois où il alternait avec Claudio Abbado, victime d’avoir étépropulsé trop tôt sur le devant de la scène.

On soulève la question d’uneacadémie, prématurée encore à ce stade d’un évènement qui vient d’être lancé etqu’il faut d’abord inscrire dans la durée. Mais notre convive souligne lemanque de concertation avec les conservatoires et entend développer desmasterclasses. L’élection de la cité aixoise, où a lieu depuis plus de sixdécennies le prestigieux rendez-vous lyrique que l’on sait, suscite desinterrogations, alors que la voisine Marseille aurait pu alors profiter d’uncoup de pouce dans son offre culturelle. Renaud Capuçon nous raconte alors lanuit après un concert où dans un motel américain, forcément isolé et un peusinistre, il s’est mis à songer à un lieu où il pourrait implanter un festival.Et par le parallèle avec Salzbourg s’est imposé Aix, qui disposait par ailleursdes infrastructures nécessaires. C’est d’ailleurs pour ne pas empiéter surl’identité du festival estival, avec lequel d’ailleurs il entretient de bonsrapports, que l’opéra en versionscénique est le seul domaine où la manifestation pascale ne s’aventurera pas –ce qui n’exclut pas de donner des ouvrages en concert.
Notre président revient alors àl’engagement de notre invité envers les répertoires peu fréquentés et lacréation. Le virtuose commande chaque année un concerto à un compositeur :après Mantovani, Dusapin, Escaich et Beffa, viendront Rihm et Connesson, et en 2017 une œuvre pour violon et percussion de Rihm. Quant aux figures oubliées,c’est celle d’Adolf Busch qui s’impose, musicien et homme exemplaire qui dèsles débuts du nazisme avait pris la mesure du régime, refusant toutcompromission avec celui-ci. Un livre, ainsi que l’enregistrement desprogrammes du Quatuor Busch, est prévu, remettant à l’honneur l’interprète etle compositeur. Après des remarques sur son instrument, les différences entrele public français et allemand, ce dernier étant davantage éduqué musicalement, il est temps de remercier notre invité d’avoir pris le temps de nous annoncerdes projets particulièrement prometteurs.

Gilles Charlassier